tw; deuil, tentative de suicide

Je vais lui rendre visite une dernière fois, mais lorsque tu liras ça, les courants du port Marépave m’auront déjà emporté.

As it is written, so it shall be done.

Tu faisais partie du peu d’Unoviens de ta génération non-croyant, Fredrick. Et pourtant, cette ligne biblique te traversait toujours l’esprit, probablement ton côté soldat qui te rongeait. Si c’était écrit, tu devais le faire.

Et dans cette lettre d’adieu adressée à ta mère, tu l’avais écrit. Tu rendrais visite à Ellias une dernière fois. Cela faisait déjà quelques jours que Molly avait fugué, et tu n’avais pas l’énergie de lui courir après.
Quel père ingrat. Tu assumais, dans cette situation, ça n’aurait plus d’importance.

Tu avais attendu le crépuscule pour t’assurer qu’il s’y trouve le moins de spectateurs possible. Après tout, ton objectif était de disparaître, pas de te donner en spectacle.
Tu n’as jamais aimé te donner en spectacle.

L’après-midi était long malgré tout. Et pour une rare fois, tu n’avais rien à dire alors que tu visitais la tombe d’Ellias. Tu ne t’y étais qu’appuyé, le regard rivé vers le ciel orangé, alors que tu regardais les nuages défiler au-dessus de toi. Tu recherchais sans doute une connexion, malgré le givre, la neige et la terre qui vous séparaient. Tu cherchais une réponse, un signe, peut-être…
Peut-être que tu n’avais pas envie de le faire, finalement ?
Non.

Ta décision était prise : ce soir, tu allais mettre fin à tes jours. Tu venais relever les yeux vers Princeton, qui était perché au-dessus de la tombe de ton défunt mari.

« Tu l’aurais adoré, Princeton. Peut-être qu’il aurait arrêté de laisser traîner ses clés, avec toi dans la maison… »

Un sourire triste effleurait ton visage alors que tu caressais doucement le menton de la petite Nirondelle, qui venait roucouler sous l’affection que tu lui donnais. À l’horizon, les montagnes lointaines venaient avaler le soleil, faisant passer le ciel d’un rouge orangé à un violet au-travers duquel perçaient les premières étoiles.
Ton heure avait sonné, tu devais mettre un terme à l’emprunt de ton temps avant de t’endetter. Et tu soupirais, avant de te relever, sous les yeux curieux de ton Pokémon confus.
Quelque chose clochait.

« Tu n’es pas obligée de venir, Princeton. »

Mais même si tu lui disais cela, ton partenaire de vie n’allait sans doute pas t’écouter; elle avait même refusé de rester dans sa Pokéball avant que tu ne partes. Tu n’allais pas lui infliger de voir ça, non ?
Non.
Mais Princeton était têtue, et elle savait que tu n’étais pas dans ton assiette. C’est donc sur ton épaule qu’elle s’était perchée, alors que tu te rendais au Port Marépave.
Juste au-dessus du barrage, où tu pouvais voir Corabyss en ses lumières, comme la pâle copie de Kalos qu’elle était.
What a sorry sight.

Tu venais légèrement sourire, alors que tu venais enjamber cette barrière de sécurité qui te protégeait du rebord du pont. Et évidemment, c’était ta Nirondelle qui réagissait. Elle venait prendre son envol pour retenir ton écharpe et la tirer vers elle, de toutes ses forces, comme pour te retenir.

« Ça va aller, Prince… »

D’un lourd soupir, tu venais dérouler ton écharpe pour te défaire de l’emprise que ta Nirondelle avait sur toi, et tu étais déterminé. Tu regardais sous tes pieds; jamais tu n’avais été autant en hauteur, après tout. Tu ravalais ta salive; étais-tu nerveux ?

« C’est ce que tu vois, toi, Princeton ? »

Une cause perdue.
Toujours en te tenant à la barrière protectrice, tu te mettais de dos à la vue. Tu avais un léger vertige inavoué, et tu n’avais pas envie de voir ta mort subite. Tu préférais voir quelque chose de plus doux; les étoiles, que tu allais rejoindre sous peu.

« …retrouves-la et prends soin d’elle, d’accord ? Je compte sur toi. »

Tu venais fermer les yeux, et le temps que tu expirais, tu étais déjà en chute libre.
Un temps d’extase, alors que tu ouvrais les yeux. Un bref instant où la vie semblait soudainement belle, mais que la mort te faisait de l’œil pour danser un tango interdit. Tu te laissais enlacer par la peur de l’inconnu, le froid, la vie qui se taisait doucement.

Un brouhaha qui venait cesser subitement alors qu’une vive douleur et une sensation de froid t’engourdissait.

C’est la fin de tout.

Une douce lueur chaleureuse venait te tirer de ton sommeil. Ton corps était trempé et secoué par les tremblements, et pourtant, le froid était terrible. Tu avais du mal à ouvrir les yeux et tu avais si mal qu’on aurait dit qu’un train t’avait happé. Tu t’agitais, cherchant difficilement à ouvrir les yeux, trouver la source de…

« Hé, ne t’agite pas trop, tout va bien… »

Une main douce qui venait t’apaiser, tu ne pouvais qu’entrouvrir les yeux alors que son portrait flouté se dessinait devant toi. Tu aurais reconnu cette voix n’importe où, même dans une pièce remplie d’inconnus.

« El…lias…? »

« Tu as une sacrée fièvre, un peu plus et tu es la source du retour de la Peste Tranquille ! En même temps, quelle idée d’aller nager en janvier, Fred… »

Son regard déçu ne t’avait jamais autant manqué. Tu regardais autour de toi; tu étais chez toi… chez vous. Lorsque ce n’était que vous deux, avant Molly. Tout était pareil et différent, à la fois. Comme si c’était un rêve.

« Comment…? »

« Ma vraie question est la suivante : Comment as-tu pu laisser tout ça se produire ? Tu vois, maintenant, je suis coincé à prendre soin de toi dans l’entre-deux… »

« Oui. L’entre-deux… mais tu es mort, Ellias… »

« Et toi, tu es entre les deux. »

Donc, ton plan avait échoué. Tu tentais de venir t’étirer légèrement, mais tu n’arrivais même pas à bouger. Comme si tes muscles étaient à la fois tendus et gelés…

« T’as rien compris encore une fois, Fredrick. Ton monde ne s’arrête pas à ma mort… »

Il venait plonger une serviette dans un sceau d’eau glacée, pour la tordre et venir la poser sur ton front.

« …je ne regrette pas ce que j’ai dit. Tu es fragile. Mais… je ne pensais pas que tu étais fragile comme ça. »

Il était tellement doux dans ses geste que tu croyais presque que cela pouvait être réel, même si c’était un rêve.

« Molly ne s’en remettra jamais. C’est ce que tu veux ? »

« Molly est partie, Ellias… »

« Ça ne t’est pas venu à l’esprit d’aller la chercher ? Franchement, Fredrick, t’es le meilleur détective de Corabyss ! »

« Mais… mon badge… »

Il soupirait, avant de te prendre les joues à deux mains.

« Tu as tout ce que j’ai toujours voulu, Fredrick. For fuck’s sake, vis pour ma legacie ! »

Ton regard s’embrouillait.
Ses mirettes saphiriques, elles t’avaient manquées, n’est-ce pas ? Tu avais tellement envie de tendre la main, de lui prendre la joue, mais tu n’arrivais pas à bouger…

« …le monde a encore besoin de toi. Notre fille a encore besoin de toi. Je vous attendrai ici, je te promets. Mais ce n’est pas ton temps… »

Il soupirait, avant de se relever et de s’éloigner de toi.

« Tu as le choix. Tu peux rester ici, ou tu peux continuer. Mais je te préviens, Fred… Tu n’auras plus jamais de deuxième chance. »

…

…..

……..

Plus jamais une deuxième chance.
Par quel miracle même serais-tu resté inconscient aussi longtemps sous l’eau glacée sans manquer complètement d’air ?
Par quel miracle même ne serais-tu pas mort sous le choc thermique, sous l’hypothermie ?

Tel un mort-vivant, tu déambulais sur la berge du Port Marépave, gelottant et claquant des dents. Le froid de la nuit de janvier te transperçait tel le coup de la foudre, et tu avais du mal à voir clair.
Tu n’arrivais qu’à marmonner quelques mots, un supplice que l’on vienne t’aider, alors que tes jambes cédaient sous leur propre faiblesse. Tu te recroquevillais sur toi-même, à la recherche de ta propre chaleur.
Ce n’était pas ton temps.
Tu devais finir ce que tu avais à faire, pour Ellias, et surtout, pour Molly.

Quand on vit avec l'absence de quelqu’un, il y a des jours avec et des jours sans. Ça, même dix ans après. On fait son deuil, on apprend à vivre avec l’absence et la douleur mais on ne guérit jamais réellement.

On oublie jamais, on apprend à vivre avec.

C'est ton crédo. Une phrase simple qui guide ton quotidien depuis presque dix ans. Dix ans… Ça fait dix ans que Matthew t'as quitté et il te manque comme au premier jour. Il te manquera toujours, jusqu'à ton dernier souffle.

- Tengo la camisa nera hoy mi amor esta de luto. Hoy tengo en el alma una pena y es por culpa de tu embrujo.

Oh non, personne ne sait à quel point tu as l'âme endeuillée et douloureuse. La plupart du temps tu te caches derrière tes sourires et tes airs assurés. Et tout ça, à cause d’un homme. Il y a des jours où tu te dis que tu aurais mieux fait de le repousser une énième fois. Il y a des jours où tu te demandes effectivement s’il ne t’as pas jeté un sort, ce soir-là au pied de ta roulotte, il y a plus de dix ans.

Ta voix s’élève alors que tu déambules le long des berges surplombées par le barrage. Vous veniez souvent vous balader avec Matthew ici durant les beaux jours. Il avait le vertige et n'avait jamais voulu aller voir le panorama depuis le haut de la construction colossale.

- Hoy sé que tú ya no me quieres y eso es lo que más me hiere que tengo la camisa negra y una pena que me duele.

Un sourire piteux naît au coin de tes lèvres alors que ton regard se perd sur la surface des eaux. Elles sont injustes les paroles de cette chanson. Personne n'aurait pu autant t'aimer que Matthew mais, parfois, tu as pourtant l'impression qu'il ne t'aimait pas assez. Pourquoi serait-il parti au front sinon ? Tu t’en veux de penser comme ça. Ta raison sait que c'est faux mais ton cœur en peine, lui, tout ce qu'il retient c’est qu’il souffre parce que Matthew n'est plus là aujourd'hui.

Oui, aujourd’hui est vraiment un jour sans.

T’as bien du mal à contenir tes larmes et ta peine. Visage levé vers le ciel orangé, tu gardes pourtant les yeux fermés, essayant de retenir les gouttes traitresses qui tentent de s’échapper. C’est peut-être ce qui t’empêche de remarquer le drame qui se passe derrière toi. Quant au fracas du corps qui frappe violemment l’eau, est-ce tes sanglots ou la fureur du vent de janvier qui t’empêche de l’entendre. Va savoir. Toujours est-il que tu ne vois rien et que tu n’entends rien. Ce qui sauve cette pauvre âme, finalement, c’est que tu restes plantée là un instant, le temps que tu ravales tes sanglots. Coup de la Chance ou du Destin, la supplique - presqu’inaudible pourtant - parvient jusqu’à tes oreilles. Tu te retournes croyant avoir rêvé mais tu tombes sur cette silhouette.

- Por el cielo ! T’as un mouvement de recul l’espace d’une seconde. Tu crois d'abord avoir à faire à un fantôme… Avant de te rendre compte qu’il s’agit d’un humain. Un enfant. Hey, ça va ? Question idiote évidemment. T’attends pas de réponse pour te précipiter vers cette silhouette fantomatique. Et alors que tu l’aides à rejoindre la partie plus praticable de la berge, tu te rends compte de deux choses : c’est pas un enfant que tu traînes avec toi mais un homme fait ; il est trempé jusqu'aux os. Comment s’est-il retrouvé dans cet état ? La question t’effleure évidemment l’esprit mais tu la chasses aussi vite. Il n'y a pas de temps pour la distraction. En plein mois de janvier, l’eau et le froid sont des ennemis. Il faut te réchauffer.

Si la panique se lit dans ton regard et tes gestes tremblants alors que tu saisis la pokéball d’Achille et libère le charbambin, tes gestes sont méthodiques. Les souvenirs des adultes tentant de réchauffer ton cousin Esteban après qu’il soit tombé dans un lac gelé, alors que vous étiez encore enfants, sont encore bien gravés dans ta mémoire. Assez pour que tu aies une idée de quoi faire plus ou moins.

- Achille, chauffe. Pour une fois, le charbambin s’exécute sans demander son reste.Sans doute comprend-t-il la gravité de la situation rien qu’au ton de ta voix, à la fois inquiet et trop sérieux. Il faut te débarrasser de todo esto.

Ton unovien et ton paldéen se mélangent sous l’émotion mais tu arrives à rester maîtresse de toi-même. Chaque minute - chaque seconde même - compte. Pas question de te retrouver avec un macabé sur le dos ! Sans même lui demander son avis, tu entreprends de le délester de ses vêtements trempés. Peu importe s’il se débat, peu importe si tu dois te battre avec lui (de toute façon il est si petit que tu gagnerais sans doute ! ) tu le délestes de tous ces tissus trempés et ne lui laisses que son caleçon avant de jeter ton épais manteau en laine de moumouton sur ses épaules. A côté de vous, Achille continue de concentrer ses forces pour amplifier la flamme de sa crête, de faire en sorte qu’elle distille sa chaleur à l’inconnu. Toi tu t’éloigne quelque peu en frissonnant, à la recherche de bois pour un feu.

- Achille, flammèche. Tu te permets enfin de souffler entre deux claquements de dents alors que les flammes lèche le tas de bois que tu as construit. Ça devrait suffire. Enfin tu l’espère. Toujours parmi nous ?

Tu te tournes enfin vers l’inconnu, tu l’as surveillé du coin de l'œil tout le temps que ça a duré de rassembler le bois sans pour autant réellement prêter attention à ce qu’il a bien pu faire. Tu t’es juste assurée qu’il ne tombe pas raide mort, surtout. Maintenant que tu es posée, tu aurais un million de questions à lui poser. Mais avant toute chose, il faut vous réchauffer.

Une voix distincte, la panique venait lui céder, mais toi, tu étais trempé jusqu’aux os et la mort te guettait. Même si elle te faisait un mauvais œil, tu savais qu’elle se montrait clémente et te laissait une seconde chance.
La vie t’en dirait-elle autant ?

À peine étais-tu revenu de ce bain surprise dans l’eau glaciale et du choc de ta chute, ta survie se voulait elle-même presque miraculeuse. Tu ne savais pas si tu étais heureux ou frustré d’avoir survécu à cette tentative de suicide; la réponse te viendra dans les prochains jours. Une fois que tu seras guéri de ce que tu allais attraper.

Une chose à la fois; tu devais plutôt te contenter de cette femme qui parlait la moitié d’un dialecte que tu ne comprenais absolument pas alors qu’elle venait te déshabiller. Ce serait le rêve de n’importe quel homme, après tout, tu ne pouvais pas nier qu’elle était d’une beauté à couper le souffle.
Mais pas vraiment le tien, tu étais déjà à moitié déshabillé que tu venais l’attraper par le poignet.

« Eh eh eh, un peu de retenue quand même…! »

Réalisais-tu même que c’était pour ton propre bien ? Sans doute pas, mais elle n’en faisais qu’à sa tête, pour venir finalement te couvrir d’un gros manteau de laine, dans lequel tu te blottis. Tu n’avais pas le luxe d’être particulièrement difficile, encore moins en ce moment. Tu devrais être reconnaissant que cette jeune femme t’ait retrouvé, non ?
Tu pouvais te sentir doucement vaciller entre le sommeil et l’éveil, mais tu tentais au meilleur de tes compétences de garder l’œil ouvert. Dans un état comme dans lequel tu étais, il n’y avait qu’une règle imminente : ne pas s’endormir. Tu l’avais vu et revu lors de ton service militaire, et ça n’allait pas changer. Tu soupirais, et la pauvre semblait grelotter au bord du feu déclenché par son petit Charbambin, qui obéissait sans dire un mot.

Tu ne savais pas par où commencer. La remercier ? T’excuser ? Tu avais du mal à tenir des phrases complètes tellement tu avais froid, mais au moins, son manteau te réchauffait.
Quelle idée de faire ça au mois de janvier.

« Merci… » tu venais bafouiller, entre deux tremblements. « Et pardon pour le froid. »

Sauf que si tu allais ouvrir la bouche pour ajouter quelque chose, un piaillement d’effroi venait déchirer le ciel alors qu’un Pokémon fonçait… droit sur toi.
Tu reconnaîtrais cette flèche qu’est ta Nirondelle parmi n’importe laquelle; et tu savais exactement ce qu’elle ressentait. Et si elle se dirigeait à une vitesse fulgurante vers toi, c’était pour venir te donner un brutal coup de bec entre les deux yeux.

« OW ! »

Tu venais porter tes mains à ton visage en râlant, avant d’agiter ta main gauche pour tenter de la repousser, mais Princeton avait une dent contre toi.
Tu avais tenté de te faire du mal.

Tu pouvais l’entendre piailler de mécontentement alors qu’elle venait te donner des coups de bec agressifs sur la tête, tu venais soupirer.

« C’est bon, Prince, je suis désolé ! Knock it off, already ! »

Au final, elle avait entendu ce qu’elle voulait entendre. Et elle cessait, alors qu’elle venait enrouler ton écharpe que tu lui avais laissée autour de ton cou. Elle ne se gênait pas de se glisser dans l’ouverture du manteau pour s’y lover contre toi, en roucoulant doucement.
Elle ne te laisserait jamais en refaire une pareille.

« Voici Princeton, elle veille sur moi. …Ah, c’est bête, je ne me suis toujours pas présenté. »

Après tout, y avait-il réellement une bonne façon de se présenter lorsqu’on déambulait sur la berge d’un port en plein mois de janvier ? S’il y avait réellement un endroit où tu devais être en ce moment, il s’agissait bien de l’hôpital, sauf que même si tu étais mourant, tu n’y serais jamais allé.
Tu arrivais désormais à sentir un peu plus tes doigts grâce à la chaleur du feu et du manteau de cette jeune dame. Tu venais les remuer légèrement, non sans grimacer sous la vive douleur que tu ressentais.

« Je m'appelle Fredrick. ...Je mentirais si je vous disais que je suis doué pour faire la conversation, bien que j’aimerais vous remercier pour ça. De ne pas m’avoir laissé mourir… »

Ironique, pourtant. C’était ce que tu intendais en venant au Port Marépave.

« Je peux savoir votre nom ? »

Il a beau se débattre, tu continues de déshabiller l’inconnu avec empressement et une certaine urgence dans tes gestes. Oh, tu ne fais pas ça par gaieté de cœur. Ton voisinage a beau te donner une réputation de fille de joie, t’es bien loin d’avoir un caractère à déshabiller la première personne venue. Sauf qu’il est question de vie ou de mort, ce que ton regard laisse signifier tandis que le plongeur nocturne t'attrape le poignet alors que tu fais mine de le délester de son pantalon. Tu ignores sa remarque et continue ta besogne.

Il n’est pas question qu’un autre homme de ton entourage meurt sans que tu ne puisses rien y faire.

Tu mélanges tout en cet instant, Olympe. Néanmoins, c’est cette hargne, ce refus de voir une autre âme fauchée en ta présence qui sauve l’inconnu.

- Oh, ne te tracasses pas pour ça. J'ai vu pire. Si tu lui offres un sourire rassurant et un regard confiant, tes claquements de dents ne trompent personne. T’as froid, c’est un fait, mais au pire tu attraperas un gros rhume. En ce qui le concerne, au pire, il attrape la mort. Et pas au sens figuré. Et ne me remercie pas pour ça. Je n’allais certainement pas te laisser mourir là.

Tu le tutoies avec naturel. Tu n’as jamais aimé ces conventions qui consistent à tutoyer les gens, surtout que vous avez à peu près le même âge. Sans parler du fait que tu viens de le sauver. T’as bien le droit de le tutoyer, non ? C’est des questions qui te passent par-dessus la tête de toute façon. Toute ton attention est tournée vers cet homme sombre. Il semble prêt à parler avant qu’un pokémon ne déboule à toute vitesse sur lui.

- Achile non. Fidèle à lui-même, le charbambin est prêt à attaquer. Le feu de sa houppe croît déjà alors que l’oiseau que tu identifies rapidement comme un nirondelle semble passer sa colère sur ton protégé.

Tu te doutes qu’il s’agit de son pokémon. A cette époque de l’année, les nirondelles ont déjà migré depuis bien longtemps vers de chaudes contrées, sans parler du fait que ce sont des oiseaux connus pour être diurnes, de ce que tu sais. Et à voir comment réagit le brun, cet oiseau est le sien. Tu restes discrète, laissant le dresseur et son compagnon savourer leur retrouvailles - ou finir leur dispute, c’est à voir - et concentres ton attention sur ton propre pokémon qui, vexé de pas pouvoir se castagner, jette un coup de pied rageur dans le feu.

- Eso es. Enfádate en el fuego. Nos calentará. (C'est ça. Fâche-toi sur le feu. Ça nous réchauffera).

Le charbambin semble prendre ça pour des encouragements et s’en donne à coeur joie pour faire grandir les flammes du feu de camp. Tu soupires de dépit. Bon, au moins, ça a le mérite de le tenir occupé sur quelque chose de productif.

- Enchantée Princeton. Un nom particulier pour un pokémon femelle mais bon… Les goûts et les couleurs. Ça t'importe peu, de plus. Tu préfèrerais savoir son nom à lui. Ce qui arrive peu de temps après avec des remerciements, encore. Je n’allais certainement pas te laisser mourir. J’en ai marre de voir la mort me rôder autour sans rien pouvoir y faire alors… Tu hausse les épaules sans jamais finir ta phrase. Est-ce parce que tu ne sais pas quoi dire d'autres ou parce que tu te rends compte que tu fais part de choses bien trop personnelles à un parfait inconnu ? Un peu des deux sans doute. Je m'appelle Olympe. Et lui. Tu montres ton pokémon d’un geste du menton. Il est toujours en train de cracher son irritation dans les flammes. C’est Achille.
Offrant un énième sourire rassurant, tu n’en dis pas plus et tu reportes ton attention sur les vêtements que tu tentes de faire sécher sur de grosses branches d’arbres posées autour du feu. C’est pas que t’as plus rien à dire, évidemment que non. Maintenant que le gros du stress t’es passée, des questions, tu en as des milliers. Tu ne sais simplement pas comment les amener sur la table. Finalement, alors que tu retournes une chaussette pour la faire sécher de l’autre côté, tu décides d’y aller de front.

C’est comme lorsqu’on marche sur un fil suspendu dans le vide, il ne faut pas réfléchir et se lancer.

- C’était si douloureux et intenable que ça de vivre ?

Ton regard ambré se pose dans ses prunelles sombres. Il ne renvoie pas de curiosité malsaine ou de jugement, simplement de compassion et de la compréhension. Parce que tu sais ce que c’est. Tu sais ce que c'est d’en arriver à un point dans la vie ou ou chaque seconde devient une véritable souffrance, où chaque inspiration est lasse et dénuée d’envie de vivre. T’es aussi passée par là et s’il n’y avait pas tes parents, c'est peut-être toi qui aurait sauté depuis le haut du barrage. Parce que non, t’es pas assez idiote pour croire un à accident non plus.

Vas-tu le juger et le blâmer pour avoir voulu mettre fin à ses jours. Non, certainement pas. Il n’a pas besoin de ça, tu en es certaine. Tout ce dont il a besoin pour le moment, c’est d’une main tendue. Une main que tu veux bien accepter d’être. Au moins le temps de cette nuit.

cw; deuil

Avais-tu réellement ton mot à dire, Fredrick ?
Tu avais fait ce choix de survivre plutôt que de mourir, simplement car tu avais des devoirs inachevés. Tu n’allais pas mourir sans avoir fait sûr que ta propre fille serait en sécurité, et tu n’allais certainement pas quitter ce monde sans avoir rempli les souliers d’Ellias.

C’était aussi simple que ça. Et pourtant, tu avais eu tant de mal à faire ton deuil.
Tu voyais ce petit Pokémon inconnu se fâcher contre le feu et en faire grandir les flammes; tu pouvais en sentir la chaleur te caresser les joues alors que tu soupirais de bien-être. Et Princeton, elle ?
Oh, elle s’était calmée, elle n’avait pas vraiment le choix. Malgré ses mauvais coups, ta Nirondelle n’avait jamais mordu la main qui la nourrit; et plutôt que de te faire la moue, elle comprit que tu étais dans une situation délicate. Elle se glissait dans l’ouverture du large manteau en laine pour venir lover son corps plumé contre ta peau, en faisant de son mieux pour te réchauffer avec le peu de chaleur corporelle qu’elle était capable de produire.

Tu l’écoutais parler, alors qu’elle jonglait entre ses dialectes, alors que tu pouvais entendre son accent caresser chacun de ses mots; cette Olympe n’était pas originaire d’Unova. Tu l’observais attentivement; n’importe quel homme aurait fait un infractus à l’idée d’être sauvé par une si belle femme, certains diraient même qu’elle est comme un ange tombé du ciel.

C’était si douloureux et intenable que ça, de vivre ?

Une question qui te transperçait comme un couteau alors que le soupir exhalait ta douleur interne. Ton regard d’émeraude déviait longuement vers elle, que tu ouvrais la bouche dans l’absence de ta réponse. Tu devais réfléchir ?
Sans doute.

« À quoi ça sert, lorsqu’on perd tout ? »

Tu venais soupirer, alors que tu caressais doucement les plumes ébouriffées de ta Nirondelle, qui roucoulait doucement alors qu’elle fermait les yeux, visiblement en paix à tes côtés.

« J’imagine qu’en touchant le fond, la seule chose que je peux faire, c’est de remonter… »

Tu détournais rapidement le regard dans un lourd soupir songeur, alors que tu lâchais :

« But damn… I’ve got a long way to go... »

Une longue pente à remonter, comme si tu devais tout recommencer à 0. Retrouver un job, retrouver ta fille, et finalement, guérir. Ou aller en thérapie pour tes divers traumatismes que tu avais enfouis tout au fond de toi, même avant la mort d’Ellias.

« Tu n’as pas l’impression qu’elle se moque de nous ? La mort, je veux dire. Elle vient faucher ceux qui le méritent le moins autour de nous, comme si elle se voulait vicieuse… Et lorsqu’on la désire et qu’on a besoin d’elle, elle brille de son absence… »

Tu venais ricaner entre tes dents.

« Ironique, dans un sens… »

Un vile frisson venait te secouer alors que le froid continuait de te dévorer, tu t’en mordillais la lèvre inférieure tellement tu étais tendu; tes muscles étaient crispés, tu grelotais, tellement que c’en était douloureux. Tu encaissais les mauvais choix, pas vrai, Fredrick ? Quelle idée de te jeter dans l’eau glacée ?

Et elle, elle souffrait pour toi. Pour te sortir même de ton pétrin, par pure humanité et par aversion pour la mort. Tes mirettes d’émeraude déviaient longuement sur les flammes qui dansaient devant vous deux, alors que ses mots te hantaient.

« La faucheuse te guette donc également. Et si tu es ici, j’imagine que c’est parce qu’elle t’a pris tes proches, à toi aussi… »

Où voulais-tu en venir ?

« …Je comprends. »

Car à votre insu, vous partagiez exactement la même histoire. Et vous vous en sortiez différemment.
C’était juste… un peu plus frais pour toi.