J’aime Emiko. C’est une figure maternelle exceptionnelle à laquelle je tiens de plus en plus, à mesure que les jours passent. Elle est élégante, douce et philanthrope, une véritable sainte. Si j’étais née ici, elle serait probablement mon modèle, mon objectif à atteindre. Mais il n’en est rien, nous sommes trop différentes, nos mondes ne sont pas les mêmes … mais en soit, cette réalité me convient très bien. J’ai cependant une confiance absolue en elle. Elle m’a sauvée, aidée et continue de le faire constamment. Dernièrement, l’une de ses lubies est de me faire adopter un pokémon, une proposition logique venant d’une éleveuse de génie. Elle considère que m’occuper de quelqu’un d’autre me mettrait pour de bon sur la route du bonheur, choix que j’ai évidemment contesté. Je ne veux pas que quoique ce soit dépende de moi, du moins pas comme ça. Malheureusement, mes refus sont rarement pris en compte, surtout lorsqu’il s’agit d’aller mieux. Alors, dans un fax arrivé la veille, elle m’a prévenu de l’arrivée imminente d’un pokémon dans mon appartement. Je n’ai pas eu le choix et au fond, cette réalité me rends heureuse. Être ainsi exemptée de libre arbitre efface doucement mes angoisses, ainsi que celles qui accompagneront les conséquences de cette décision. Je n’y suis pour rien, ce n’est pas ma faute, alors pourquoi s’en inquiéter ?

Depuis la réception de ce message, j’écoute et me renseigne scrupuleusement sur les tenants et aboutissants de l’adoption de pokemon. Ce qu’ils mangent, boivent, ou est-ce qu’ils dorment ? Tant de questions que je ne m'étais jamais posées en les regardant dans la nature ou sur le champ de bataille. Mais aujourd’hui, je tiens à bien faire les choses. J’espère devenir une aussi bonne maîtresse que je voudrais qu’on le soit pour moi. Alors je me suis levée tôt et ai pris le train en direction d’un district plus calme pour faire mes achats. Mais à peine plongée dans la foule ferroviaire, je sens mon estomac se tordre. D’un pas rapide et paniqué, je me dirige vers la première enseigne qui semble déserte pour donner à mon corps, toute la nicotine et la caféine nécessaire pour mener à bien cette aventure.

Je m’assieds en soupirant, jetant un regard curieux autour de moi. Le cadre est sympathique, doux, tout ce qu’il me fallait. Je décroche de mes épaules le manteau usé qui m’accompagne depuis des années et sors de mon sac ma liste des choses à faire, écrite grossièrement et sors à côté de ce dernier mon paquet de cigarette avant de chercher du regard quelqu’un pour commander.

“Euh … Je voudrais un café noir si’il vous plaît …”

C’est un boulot qui ne paie pas de mine, de prime abord mais tu l’adores et ne l’échangerais pour rien au monde.

Au départ, tu pensais que tu détesterais ça. Bosser derrière un bar, à répondre avec le sourire au moindre désir du client, le tout, en étant payée une misère. Sauf que voilà, quand on a pas de diplôme, qu’on est veuve et qu’on a cruellement besoin d’argent, on ne fait pas la fine bouche. Mais la réalité est que tu aimes ce travail, Olympe. Tu l’adores même.

Il n’y a pas deux journées qui se ressemblent ici. Et pour quelqu’un comme toi, pour qui la routine peut s’avérer mortelle, c’est une aubaine. Tu aimes la différence d’ambiances entre le service du soir et celui du matin. La musique, le bruit, l’éclairage tamisé et le brouhaha des clients le soir alors que les artistes performent sur la scène. Il n’y a pas de moment plus exaltant que lorsque tu foules toi-même le plancher du One Last Song. Le feu des projecteurs et les acclamations du public te rappelles ton âge d’or au cirque.

Mais ce sont certainement les matins que tu apprécies le plus ici. Tu adores le calme reposant qui règne dans le café spectacle alors que la lueur du soleil matinal passe au travers du dôme vitré du plafond. T’aimes l’odeur du café qui empli agréablement l’air se mélangeant au parfum capiteux des madeleines qui sortent du four et refroidissent sur un coin du bar. T’aimes voir la vie s'éveiller peu à peu dans Corabyss tandis que les piliers de bars rejoignent leur poste.

T’en voulais pas initialement de ce travail mais t’aurais du mal à t’en passer maintenant.

Pleine de bonne humeur malgré l’heure matinale, tu accueilles la première cliente avec un grand sourire.

- On s’occupe de vous tout de suite. Installez-vous donc. Tu rayonnes et lui offres un sourire chaleureux alors que tu rejoins la cuisine tout en demandant à Benjamin - le petit nouveau - de s’occuper de la commande de votre cliente. Mauvais idée Olympe. Qu’est-ce que t’es en train de faire ? N’importe quoi, visiblement. Il te fixe avec des yeux aussi vides que ceux d’un magicarpe.
- Bah je prépare un café. Ta langue claque de désapprobation. C’est pourtant pas la première fois que tu lui expliques la méthode.
- Tu veux faire fuir les clients, c’est pas possible autrement. Un café, ça se prépare avec soin, surtout quand on te le demande noir. Il tente de protester, en arguant qu’un café c’est un café. C’est décidément un gamin qui ne connait rien à la vie… Occupe-toi de la vaisselle, je m’en charge. Tu soupires de dépit et reprend la besogne du gamin non sans un sourire vers votre unique cliente du moment.

Tes gestes sont soignés, méthodiques et certainement dignes d’un véritable barista. C’est que tu aimes ça le café et, perfectionniste comme tu es, tu fais toujours en sorte d’en obtenir le meilleur, que ça soit pour toi ou pour les clients.

- Et voici. Tu déposes la tasse de café devant la jeune femme, non sans un sourire radieux. La madeleine est offerte par la maison, vous m’en direz des nouvelles. Parce que c’est toi qui les prépares, évidemment. C’est la recette familiale, recette que tu as bien voulu partager avec ta patronne dans le but d’attirer plus de clients le matin. Ça a son petit succès. Et bah… Ton œil glisse sur le papier qui gît sur la table sans que tu le veuilles réellement et l’exclamation t’échappe sans que tu y penses.  C’est une sacrée liste que vous avez là ! Il y a pas de jugement dans ton ton, juste de l’admiration.

Ça t'a toujours fasciné, ces personnes ultra-organisées. Toi, t’es plutôt du genre bordélique, dans tous les sens du terme…  

Je hoche doucement la tête en signe d’approbation tout en évitant de croiser le regard de mon interlocutrice. Je profite alors de cette absence et m’accorde quelques secondes pour souffler, affalée dans mon siège. J’observe l'extérieur à travers la vitre, protégée par les stores qui empêchent quiconque de me fixer dans les yeux. Pendant cette courte minute, je suis comme invisible Ici, je suis à l’abri des regards et du bruit, de la foule et des mots. Je me perds à observer les toits des maisons, la forme des routes et tout ce qui constitue l’architecture de cet endroit où je ne suis que rarement venue. A chaque fois que je me risque à quitter ma chambre, je suis surprise par l'hétéroclisme d’Unova. Chaque district est comme tiré d’une histoire différente, narrée par des enfants aux rêves disparates. Quand mon regard se pose sur les hautes façades et les lits de fleuves maçonnés, je ne peux m’empêcher de penser à ma Rhode natale. Tout y est si différent, plus doux, plus moderne, plus … faible.

“…”

Un désagréable frisson me parcourt l’échine et me force à me redresser, comme effrayée par les murmures d’un passé dont j’aspire à m’extirper. Heureusement pour ma pauvre psychée, la serveuse m’apporte mon café avant que je n’ai le temps de me flageller l’esprit pour avoir eu cette pensée intrusive. Je hoche doucement la tête et me risque à un coup d’oeil en direction de celle que je remercie. Elle est souriante. Elle transpire d’une énergie et d’un éclat que je n’ai pas. C’est agréable … Silencieusement, j’apporte la tasse à mes lèvres pour y goûter le liquide brûlant. C’est bon. Très bon même, bien plus que ce que j’arrive à me préparer avec ma vieille cafetière et mes sachets bon marché.

“Je…”

Bien que mal à l’aise, je n’ose pas me terrer dans le mutisme. Elle vient de me complimenter et de m’offrir à manger … de elle radie d’une énergie que je ne saurait ternir. Même si c’est difficile, je me dois de répondre à cette gentillesse qui caractérise autant les habitants de ce pays.

“M…merci. Oui, je vais bientôt adopter un pokémon et je n’ai rien chez moi. Si je ne me fais pas de liste, je risque de rentrer en ayant oublié la moitié chez moi …”

Comme d’habitude, je parle à voix basse, évitant au mieux de faire participer de potentiels inconnus à mes interactions sociales.

“J’ai passé les derniers jours à prendre des notes … je n’y connais pas grand chose. Je n’en ai jamais vraiment côtoyé … “

Fidèle à toi même, tu oscilles en tous sens, telle une flamme qui brûle avec vivacité. Et plutôt que de retourner à ton travail, tu t’attardes auprès d’une cliente. C’est pas bien grave en soit, il n’y a personne dans l’établissement hormis cette jeune femme, Benjamin et toi. Et, de toute façon, ton service est bientôt fini. Tu écoutes la jeune femme avec attention, un oeil admiratif toujours rivé sur sa liste. Ainsi, tout ça c’est pour accueillir un pokémon !

- Woaw, les jeunes d’aujourd’hui sont si assidus ! Vous savez déjà où vous allez aller tout ça ? De ton temps, tout ça s'apprenait sur le tas. Mais les temps ont changé, la relation entre humains et pokémons également. Avec l’avènement des licences, l'intérêt envers ces créatures fantastiques s’est accru. Toi-même, tu te montres bien plus assidue lorsqu’il s’agit d’Achille mais ce n’est rien qui arrive au niveau des préparations de cette demoiselle. Pourquoi t’es pas aussi rigoureux Benny ? Prends donc un peu exemple !

Du fin fond de la cuisine, une voix s'élève avec autant de taquinerie que dans la tienne.

- Dixit la femme avec zéro organisation ?
- Hey ! Ne donne pas une mauvaise image de moi aux clients ! Un clin d'œil vers votre cliente pour lui faire comprendre que tout cela n’est qu’un jeu entre toi et le jeune serveur et te voilà repartie derrière le bar.

Tu reprends ton travail avec énergie, fredonnant quelque airs de Paldéa tandis que tu finalises les préparations pour le prochain service.

- Et c'est quel genre de pokémon que vous allez accueillir ? Vous savez déjà ? A ce sujet les tendances ont l’air variées, certains savent ce qu’ils veulent, d’autres se laissent porter par le hasard et les bons conseils du Professeur Spruce, comme ce fut ton cas. Si c’est un jeune pokémon feu, faites gaffe à votre mobilier.

Rien ne dit que s’en est un mais tu partages ton expérience tout de même, si ça peut éviter à quelqu’un d’autre de avec un début d’incendie dans sa cuisine…