Ça faisait quelques jours que Kielo t’embêtait pour aller en ville, un discours rien de trop différent de l’habitude. Tu ne comprenais pas ce qu’il y avait de si différent à la ville alors que pourtant, le village de Forget-Me-Not vous offrait tout ce dont vous aviez besoin.
La barrière culturelle qui s’imposait entre ton mari et toi te soulevait tant de questions. Cela faisait près d’un an que vous habitiez ensemble, et pourtant, tu avais encore l’impression qu’il n’était qu’un étranger. Tu dormais aux côtés d’un fantôme sans réellement savoir pourquoi. Il ne te comprenait pas, et vice-versa, comme si tu ne cherchais pas à le comprendre.
Tu ne voulais pas aller en ville, car tout ce que tu te souviens de ça, c’est l’air lourd et ta jambe en moins. D’ailleurs, elle se montrait particulièrement peu coopérative aujourd’hui, après quelques semaines où tu allais pourtant bien. Ça t’a évité une sortie improvisée, du même coup.

Février arrivait enfin et la neige tombait à gros flocons sur ta fermette. Tes Pokémon étaient gardés au chaud dans la grange, sauf cette petite Chaglam espiègle que tu avais trouvée au Ruisseau du Souci, lors d’un pique-nique hivernal qui s’est voulu plutôt désastreux. Oh, et bien sûr, cet œuf que tu gardais près du foyer, dans son incubateur. Après tout, tu savais comment les faire éclore rapidement.
Couchée sur tes cuisses, la féline était courbée sur elle-même que tu pouvais entendre ses doux ronronnements alors que tu venais enfin compléter cette œuvre de broderie que tu avais improvisée.

« …Kielo… »

Tu esquissais un petit sourire alors que tu passais doucement tes doigts contre le motif de muguet de mai que tu avais improvisé à ton insu.
Tu te mentais à toi-même en te faisant croire que tu ne l’aimais pas et que tu ne voulais pas le connaître, ton mari. Si la vie vous a mis sur vos chemins respectifs, c’est pour une raison.

Il pense toujours à toi, comme tu penses toujours à lui.

…te trouves-tu ridicule, en ce moment, Briar ? Aimerait-il même cette petite broderie que tu lui as faite ? Il est tellement cartésien et direct, peut-être que c’est trop délicat ?

Tu venais jeter le cercle à broder contre la table basse en venant soupirer lourdement, ressentant un tout nouveau type d’émotion : l’insécurité. Et pourtant, tu étais trop dure avec toi-même, sans même réaliser que tu avais marié l’homme le plus doux d’Unova…

…

Tellement doux qu’on venait cogner si fort à ta porte que la pauvre petite Chaglam en sursautait, venant renfoncer ses griffes dans le bras du canapé; tu avais d’ailleurs vu son poil tout hérissé sur son dos. D’un pas prudent, appuyée contre ta béquille, tu te dirigeais vers la porte, en restant tout de même méfiante. Surtout à la vue d’un homme que tu ne connaissais pas, mais ce gentleman semblait plus inquiet qu’autre chose.

« Il y a quelqu’un ? S’il vous plaît… »

« Qui êtes-vous ? »

« C’est au sujet d’un garçon… il habite ici, il s’est endormi dans ma charrette ! »

« Quoi ?! »

Mais quelle idée, de sortir en ville à une telle heure, dans un tel froid, avec un tel manteau. Oh, ta jambe ne te suivait pas vraiment aujourd’hui, mais à cet instant précis, tu ne lui laissais pas le choix; tu balançais ton manteau en laine de Wattouat par-dessus tes épaules, et pas même que tu étais sortie, tu réalisais que ce marchand disait vrai.
Tu retrouvais Kielo au fond de la charrette, blotti dans son écharpe, protégeant… un œuf ? Tu venais lui toucher doucement le bout du nez et des oreilles; il était complètement congelé, et peu importe combien de fois tu l’appelais, il ne répondait pas.
Non.
Il ne pouvait pas te faire ça, pas après que tu aies réalisé que tu l’aimes vraiment.

« Je vais lui en donner moi, une raison de dormir…. Kielo, réveilles-toi pour l’amour d’Arceus !! Kielo !! »

Une brève obstination avec le jeune marchand semblait juste assez pour venir tirer ton homme de son sommeil, alors que ce dernier venait bondir de la charrette pour t’embrasser sur la joue, œuf toujours au creux de ses bras.
Mais où est-ce qu’il l’avait trouvé, cet œuf, à la fin ? Et avec ses joues rougies et sa peau glacée, comment avait-il même survécu à ça ?

« Kielo Jones, ne me refais plus jamais ce coup là ! »

Tu venais l’attraper par le visage à deux mains, sourcils froncés.

« Dans la tempête comme ça… j’ai cru… enfin. »

Tu secouais la tête et tu venais faire un mouvement de tête qui pointait l’œuf de ton menton.

« C’est quoi, ça, exactement ? »